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Les cinq jours de Célestine Sabine
15 décembre 2023

Nos écoles 2/2 suite et fin

Le lycée labyrinthe

Le lycée était un établissement bien différent du collège, c’était un gigantesque quadrilatère avec une cour centrale, dans le genre univers concentrationnaire. Les classes pouvaient être situées au rez de chaussée ou au 1er étage et ce sont ces couloirs sans fin du premier niveau qui ont toujours été pour moi un mystère car je ne savais jamais où il fallait aller, s’il fallait tourner à droite ou à gauche en haut de l’escalier ! Mon absence totale de sens de l’orientation combiné à cet épouvantable bâtiment à 4 côtés identiques, faisait que toute mon énergie était dilapidée à chercher dans quel couloir se passait le prochain cours ! Car on changeait de salle à chaque cours. Bien sûr, je ne pensais qu’à une chose suivre le groupe mais il m’est arrivé un grand nombre de fois d’être seule et … désorientée. Encore maintenant il m’arrive de rêver que je suis perdue dans d’interminables couloirs qui s’enchaînent sans fin, bien consciente de tourner en rond ou plutôt en carré des heures entières. Encore maintenant je ne peux m’empêcher de peindre ce genre d’univers. (acrylique et collage.Toile de 50 cm de côté)

lycée

J’ai compris pourquoi mes parents à l’entrée en 6eme ne m’avaient pas mise d’emblée au Lycée de Jeunes Filles ! Il s’appelait ainsi et comportait des classes de la 6éme à la terminale, rien que des filles bien entendu ! J’y suis restée 3 ans, le temps de mes classes de seconde, première et terminale philo.

Je me souviens d’une prof de Maths étrange ; nous étions à la rentrée 1967, en classe de 1ere et cette prof. avait décidé de nous faire faire des exercices surprenants : il fallait se mettre par petits groupes de 4 ou 5 élèves et discuter de la manière dont on voulait apprendre les Maths ! Au début nous trouvions amusant de nous concerter en déplaçant les tables, en faisant semblant de comprendre où elle venait en venir. C’était tout à fait inconnu et on pouvait parler de tous nos petits potins sans souci, elle croyait qu’on refaisait le monde des maths, en fait on prenait des récrés supplémentaires. Assez vite j’ai commencé à me demander à quoi tout cela rimait, si elle savait pas faire cours autant le dire tout de suite mais c’était pas à nous de lui concocter ses leçons et j’étais pas la seule à en avoir assez de ces conciliabules qui ne menaient à rien. Tout cela a bien duré 2 mois avant qu’on commence à travailler sérieusement ! Je n’ai compris qu’à la fin de l’année quand j’ai vu le mouvement de grève et les revendications des étudiants de Mai 68, mais je n’étais pas du tout politisée, mes camarades non plus et tout cela nous est passé largement au dessus de la tête ! J’en veux pour preuve mon effarement lors du tout début des grèves, quand une de mes copines rencontrée à proximité du lycée m’a dit en me voyant avec mon cartable : « pas la peine d’y aller, ya grève ! » « mais c’est qui qui fait grève ? » réponse NOUS ! Si je n’étais pas déjà descendue de mon vélo, je crois que je serais tombée par oubli de l’équilibre, tellement j’ai été étonnée par ce ‘NOUS’ !! Il ne m’était jamais venu à l’idée que je pouvais faire grève et pour quelle raison bon sang ??? C’est quelques jours après que j’ai compris l’étrange attitude du prof de Maths. Elle était, elle, dans l’air du temps et moi dans les nuages comme toujours…

 Je me souviens aussi d’une prof. de français qui m’avait tout autant étonnée mais pour une autre raison. Elle était rousse avec invariablement des vêtements verts et un rouge à lèvres orange. Jusque là rien de surprenant pour qui connaît les accords de couleur et le cercle chromatique ( je n’ai compris la raison de ses choix de coloris que 55 ans plus tard ), non, ce qui était fascinant c’était que son orange à lèvres débordait sur ... ses dents !! et je passais mon temps à regarder sa bouche en me demandant comment un tel sortilège pouvait se produire ! Cela ne m’a pas empêchée de me plonger à corps perdu dans les Lagarde et Michard du Moyen Age au 20eme siècle et d’en savoir des extraits par cœur. Quel miracle que ces livres qui contenaient à mes yeux toute la littérature, comme la bibliothèque de mes 12 ans qui contenait tous les livres jamais édités ! Le meilleur de tous était Apollinaire et ses vers hermétiques que je peux encore réciter « Voie lactée ô sœur lumineuse Des blancs ruisseaux de Chanaan... » Bref entre son rouge à lèvres sur les dents et ses poèmes, cette prof. m’a fait grande impression.

 Tout comme d’ailleurs une prof. de sciences qui a eu, un jour de tempête l’idée à mes yeux saugrenue de nous faire disséquer des souris ! Je parle de tempête car le laboratoire de sciences était situé au dernier étage du bâtiment et trois de ses faces étaient entièrement vitrées. Ce jour là, un terrible orage sévissait au dessus et autour de nous, les feuilles et les branches volaient et je ne pouvais pas détacher mes yeux du spectacle en étant terrifiée à l’idée que tout vole en éclats. La prof. imperturbable continuait son cours et a posé devant moi une souris morte prête à être ouverte en deux. Comme je n’avais rien écouté des consignes, bien trop accaparée par ce qui se passait à l’extérieur et bien trop concentrée sur ce que j’allais faire en cas d’explosion de la fenêtre prés de moi, j’ai saisi incrédule le scalpel qu’elle me tendait et commencé à couper la peau de la malheureuse bête. Bien sûr, elle avait dû dire précisément comment faire, mais moi complètement hébétée et en transes à cause des éléments qui se déchaînaient, j’ai trop forcé sur ce maudit scalpel très aiguisé et toutes les entrailles se sont répandues dans l’assiette, il y avait du sang, des boyaux, des viscères innommables, un vrai cauchemar qui m’a encore plus épouvantée que le cyclone extérieur. En un mot, un avant goût de l’enfer !! Je me souviens m’être un peu ressaisie et avoir regardé la souris de ma voisine qui avait su bien disséquer et séparer bien comme il faut le foie du cœur, les boyaux de la vessie et était en train de tout dessiner ! Il a donc fallu que je copie sur son cadavre en me retenant de vomir tellement j’étais tourneboulée !! Une journée mémorable je vous dis, et voilà comment on devient végétarienne !

Pour en finir avec mes années au lycée, j’ai gardé pour la fin la meilleure de toutes, ma prof. de philo, la seule dont j’ai retenu le nom, Mme Macias, la seule dont j’ai la photo assise au milieu de ses élèves. Mme Macias a changé ma vie en me faisant découvrir la philosophie. Elle m’a fait grandir, grâce à la limpidité de ses cours, j’ai trouvé en moi la force d’affronter ma mère sur le sujet qu’il ne fallait surtout pas discuter, à savoir la religion ! Grâce à vous Mme Macias, j’ai obtenu après des mois de siège, la liberté de pensée ! Et qu’on n’aille pas croire que cela va de soi, à l’époque oser dire le contraire de ce qui était communément admis, vouait dans mon milieu le récalcitrant aux attaques féroces de ceux ou celles qui pensaient comme il faut ! A 18 ans, j’ai de haute lutte conquis le droit de penser par moi même et c’est à Mme Macias que je le dois, qu’elle en soit ici remerciée.

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Commentaires
C
Bonjour Phrasie, j'ai lu tes péripéties lycéennes. Moi, j'étais en 6e en 67, nous avons donc 5 ans de différence. En mai 68, ma famille, qui vivait pourtant loin de Paris, avait la hantise d'une guerre civile, avec toutes les dégradations et les blessés, voire même les morts, que cela pouvait provoquer. Le terme de "grève illimitée" me faisait très peur, mais nous n'avons eu qu'un mois (!) de congé. En 4e un prof de Sciences Nat a fait lui-même une piqure létale à une pauvre grenouille, pour nous montrer les muscles de ses cuisses. J'ai trouvé ça un peu cruel et ça m'a donné chaud pendant quelques minutes. En couture, quelques filles s’asseyaient au fond de la classe et posaient leur cartable sur la table, histoire de papoter ou même de jouer aux cartes. La prof laissait faire, car elle n'avait aucune autorité. Moi, j'ai apprécié d'apprendre à faire une belle reprise et cela m'a été utile. Au lycée, il y a eu le rejet de la loi Debré, de la réforme Fontanet et puis Haby a du revoir sa copie. Cela m'a permis d'apprendre à jouer au tarot dans les couloirs ou les escaliers. En terminale, très bon prof de philo qui m'a passionnée, mais la majorité des élèves pensait à autre chose. Dommage.
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C
La phobie des labyrinthes.....c'est grave docteur . Je ne sais pas mais savoir les peindre relève de l'art de l'orientation. <br /> <br /> Nous avons un point commun : l'admiration porté à la prof de philo. Elle ne m'a pas appris à discuter de religion car, à la maison, la tolérance et le respect des pensées étaient de mise. En revanche elle a éveillé en moi le raisonnement ordonné : thèse, anti thèse, synthèse. <br /> <br /> Que ces festes soient chez toi lumineuses et chaleureuses. <br /> <br /> Bien amicalement.
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F
Quelles "aventures" ! j'ai vraiment l'impression de faire connaissance avec cette jeune fille...<br /> <br /> Pédagogie similaire à celle de ton prof de terminale, ou plutôt, une pédagogie indigente, voire absence de pédagogie, j'ai connu en 6ème le débarquement des "maths modernes" et la grande innovation de la "théorie des ensembles" ! Le prof d'alors nous laissait faire des fiches pendant qu'il lisait le journal les pieds sur le bureau. 15 minutes avant la fin de l'heure, il repliait le journal, posait les pieds au sol, et en un drôle de capharnaüm, nous nous agglutinions autour du bureau sur lequel il corrigeait la fiche. En fait, probablement maître auxiliaire, il n'était pas vraiment à sa place puisque je l'ai retrouvé au lycée quelques années plus tard professeur de physique-chimie, bien meilleur ! <br /> <br /> Ton tableau du jour illustre parfaitement ton texte, labyrinthe viscéral d'organes rouge sang, rouge à lèvres !
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