Nos écoles 1/2
Aujourd’hui Lundi 27 novembre, je reçois le numéro spécial de la revue de l’APA (association pour l’autobiographie) dans lequel a été publié mon texte sur ‘ Nos écoles’. Je ne suis pas peu fière d’avoir été sélectionnée pour figurer dans ce numéro car il s’agit là de mon premier billet publié sur le blog de l’APA (Grains de sel ) et d’ailleurs de mon premier billet tout court !! J’ai répondu à un appel de cette association qui démarrait au printemps 2022, une collecte sur le thème de l’école afin de documenter leurs futures journées de l’autobiographie.
Grand étonnement de ma part de voir qu’en plus ma photo de classe figure sur la couverture :
En bref je sens que j’ai les chevilles qui enflent et je ne résiste pas à l‘envie de publier ce texte sur mon blog ….
« Dans une chimère tout est vrai : le ventre est d’un taureau, les ailes d’un aigle et la tête d’un lion. Pourtant un tel animal n’existe pas….C’est la recomposition qui arrange les souvenirs pour en faire une histoire. » Boris Cyrulnik dans ‘Sauve toi, la vie t’appelle’.
Pas si maternelle que ça !
Je me revois monter de très hautes marches en pierre, qui mènent à la classe de maternelle en cette année 1955/56 pendant laquelle à 5 ans je rentre pour la première fois à l’école. Je ne vois qu’une pièce sombre, assez petite, éclairée par une seule fenêtre sur ma gauche avec des rangées de bureaux anciens où deux élèves peuvent s’asseoir côte à côte. Mon seul souvenir concerne ma crainte de mal faire. En effet, je suis assise au premier rang, devant mes yeux un mur et à ma droite un autre enfant face au mur aussi. On a un travail à faire, quelque chose posé sur le bureau devant nous. J’ai envie de tourner la tête vers l’enfant à ma droite mais je sens le regard de l’institutrice dans mon dos. En effet, l’adulte qui s’occupe de nous, se tient dans notre dos ! De façon à voir si on parle ou si on bouge une oreille. L’ensemble des élèves est ainsi assis dos à la maîtresse. Sommes nous tous punis ? Est ce un jour spécial où quelqu’un d’autre que la maîtresse nous surveillait ? Tout ce dont je me souviens c’est de mon appréhension d’être vue en train de désobéir, ordre ayant été donné de se taire et de rester les yeux rivés sur son travail. Je suis donc tétanisée, le regard sur le mur en face de moi sans savoir quoi faire mais surtout sans bouger la tête à droite ou à gauche au risque de me faire décapiter !J’ai à peine 5 ans. Et dire que les écoles Montessori existaient depuis 50 ans !!
Une école belle comme un hôpital !
Toutefois, les choses se sont améliorées en allant à la grande école. Noter que l’épisode précédent se situait dans les anciens locaux scolaires et que dès la rentrée 56, j’ai eu la plus grand fierté de mon enfance en allant dans la nouvelle école ‘ belle comme un hôpital’ comme disait ma grand-mère ! En effet un nouveau bâtiment venait d’être construit et ma grand-mère ne cessait de s’extasier devant les grandes fenêtres, les larges escaliers, le magnifique préau sans parler des incroyables salles de classe.
L’institutrice habitait au premier étage au dessus des classes et je me souviens qu’un jour j’avais eu l’invraisemblable honneur d’aller chez elle pour prendre un médicament ! Je me revois monter l’escalier prés d’elle, il me semblait qu’elle m’accordait une attention particulière ce jour là alors que dans la classe elle ne s’occupait pas plus de moi que des autres. Je me souviens encore de cette faveur exceptionnelle, monopoliser l’attention de la maîtresse en allant chez elle.
C’était un monde nouveau pour moi où la vie se déroulait selon un cadre très rigide composé de leçons, de récréations et de devoirs à faire, sauf en fin d’année où, miracle, tout s’assouplissait et nous partions en promenade ! J’ai beaucoup aimé ces promenades en rang par deux, c’était la respiration annuelle prélude au beau temps et aux rêveries du jardin du pont. De plus on nous offrait un goûter incroyable composé de crème et de petits gâteaux secs que je n’avais jamais vus chez moi et qui me semblaient le summum de l’exotisme ! Un monde nouveau où remplir l’encrier en céramique d’encre violette me causait beaucoup de soucis car j’avais peur d’en mettre à côté et il pouvait y avoir des tâches sur les doigts. On écoutait de la musique à la radio et c’est la première fois que j’ai vu et touché des disques. D’ailleurs la même institutrice qui m’avait choyée tantôt, m’avait grondée parce que je manipulais mal ces fameux disques, il ne fallait pas les poser à plat au risque de les déformer, j’en avais été si troublée que je n’ai plus jamais touché un vinyle avant mon adolescence ! Je n’avais pas une oreille musicale, et parmi les exercices proposés il fallait trouver le compositeur et le titre d’un morceau après écoute à la radio. Comme je frôlais la panique à chaque fois car je ne faisais aucune différence entre les morceaux, j’ai triché (je me demande encore comment j’ai fait, les réponses devaient traîner quelque part) et j’ai donné une bonne réponse sur un morceau particulièrement difficile tant et si bien que la maîtresse s’est étonnée que je reconnaisse ce morceau là et pas ‘la truite’ de Schubert alors que le titre était donné par la chanteuse dés le début. J’ai vu dans son regard qu’elle se doutait de quelque chose mais elle en est restée là. Je n’ai pas osé lui dire que je ne retenais rien et que la désarroi me rendait sourde…
D’ailleurs jusqu’en terminale mes deux bêtes noires ont été la musique et le sport ! Pour ce qui est de la gymnastique dans la cour de cette fameuse école belle comme un hôpital, la torture hebdomadaire s’appelait la corde lisse. J’étais totalement incapable de tirer sur mes bras et de me hisser jusqu’en haut, mon maximum a dû être à un mètre du sol ! Une hantise qui m’a poursuivie pendant toute ma scolarité.
Mis à part ces mini tragédies intimes, j’étais bonne élève, à vrai dire bonne en tout sans grand effort, je faisais mes devoirs à la maison très consciencieusement et je ne me souviens pas de difficultés particulières sauf évidemment en musique et en gym. J’ai toutefois le souvenir d’un exercice de calcul qui m’a marquée. J’avais fait une opération, addition ou soustraction sur la partie droite de mon cahier et je devais écrire Total en face du résultat. Je me suis donc bien appliquée à écrire à gauche de l’opération un t un o un autre t et au moment d’écrire le a, je me suis aperçue que je n’avais pas la place de mettre la jambe du a car ma dernière lettre touchait les chiffres ! Epouvantée, j’ai été incapable de sortir de ce ‘toto’ ridicule. Comme je ne relevais pas la tête incapable que j’étais de trouver une solution, l’institutrice est venue voir pourquoi cette opération me posait problème et c’est là que j’ai entendu « ah ! Mais tu as écrit toto ! ». Je crois me souvenir qu’elle m’ a délivrée en barrant mon toto à l’encre rouge et en écrivant elle même le fatidique ‘total’ en dessous.
Les jeux bruyants et physiques me faisaient fuir évidemment. J’ai le souvenir d’un ballon lancé dans ma direction à toute volée et que je n’ai pas su esquiver. Je revois encore la scène, devant mes yeux incrédules un ballon de foot se dirige droit sur moi, je suis paralysée, je vois le ballon mais je ne peux pas bouger, la scène se passe au ralenti dans ma tête, je ne fais pas un mouvement et je reçois le fameux ballon en plein visage ! Encore maintenant je me demande quelle terreur a paralysé mes neurones m’empêchant de me protéger ! On jouait au foulard, assis en rond quelqu’un déposait le foulard dans le dos de l’élu qui devait s’en apercevoir très vite, prendre le foulard et courir après celui qui l’avait déposé avant qu’il ne retrouve sa place. On jouait à la corde à sauter, tenue par deux filles, la corde imprimait le rythme des sauts. J’aimais bien ces jeux là mais je crois que surtout on passait notre temps à courir à droite et à gauche. Je n’ai qu’un souvenir précis, ce devait être au tout début de ma scolarité en 57 peut être, j’avais dans les six ans. Je n’osais pas aller aux cabinets toute seule car ils étaient au fond de la cour et je me sentais en danger dans ces toilettes. Ma grand-mère avait demandé à la fille de notre voisine de deux ans plus âgée que moi, de me tenir la porte des cabinets pendant la récréation pour me rassurer. Sauf que quand je lui demandais de m’accompagner, elle me disait « cours, ça te passera » et je courais d’un côté, de l’autre et elle me le répétait sans cesse, tant et si bien que je revenais en classe sans avoir été aux toilettes et le reste de la matinée était un supplice !!
J’ai aussi deux souvenirs étranges car je me suis rendue compte grâce à eux que beaucoup de choses m’échappaient.
Le premier se passe juste avant l’entrée en 6ème. Il devait y avoir une sorte d’examen pour voir si on avait le niveau exigé et l’institutrice nous avait fait passer les tests dans les conditions requises. Ces tests ne m’avaient posé aucun problème mais quelle n’avait pas été ma surprise de voir qu’après correction des copies, c’était tellement mauvais qu’il a fallu tout recommencer ! Et je n’étais pas au bout de mes surprises car elle nous a tout re-expliqué de fond en comble et on a refait les mêmes tests ! Je me demandais comment je pouvais faire mieux qu’au premier coup parce que j’avais déjà tout juste ! Je me souviens de mon ébahissement quand j’ai vu que malgré ces manigances, certains n’avaient toujours rien compris ! Le deuxième souvenir étrange est la visite d’un inspecteur de l’Éducation Nationale ! Je me souviens avoir vu entrer un monsieur fort sérieux accompagné de notre institutrice, il a écouté la leçon, est reparti avec elle dans le couloir. Je ne sais pas combien de temps ils se sont absentés mais quand l’institutrice est revenue, elle était littéralement folle de rage parce que personne dans la classe ne s’était levé à l’entrée de cet inspecteur ! Elle nous a grondés tant et plus, je n’ai rien compris à sa colère car elle ne nous avait jamais demandé de nous lever quand elle entrait dans la classe et comme personne d’autre qu’elle ne venait, nous ne savions pas comment nous comporter ! J’ai trouvé sa colère injuste et les comportements des grandes personnes imprévisibles !
Mais, comme dit Cyrulnik, malgré ma conviction que tous ces éléments sont vrais, ce que je raconte n’est peut être qu’une chimère qui n’a jamais existé…..